Le cours de nos conversations —un texte d’Alexis Desgagnés et Anne-Marie Proulx

­Aujourd’hui, nous parlons d’écrire un texte, celui-ci. Nous parlons de ce dont nous devons discuter cet après-midi. Nous parlons d’un titre, d’un chantier. Nous faisons un café et le ménage du bureau.

Il y a les publications dont nous parlons souvent. Aussi de l’obsolescence des chambres noires, des mandats du centre, de la place que VU occupe au sein de la coopérative Méduse, du rôle des centres d’artistes dans la culture québécoise. Nous parlons d’autogestion, et encore d’autogestion. Nous reparlons des mêmes choses sans les redire. Et ces choses dont nous parlons font que nous sommes ici et pas ailleurs.

Nous parlons surtout avec des gens. Ils sont nombreux, qui passent nous voir comme nous allons vers eux. Certains n’ont nul besoin d’être là. Leurs paroles, d’autres la transmettent ; leur voix persiste à résonner. Nous parlons avec eux comme parler c’est faire.

Les mots peuvent être trop faibles ou trop forts, manquer de justesse ou d’intensité. Ils peuvent être mal compris, ou alors être de trop, quand le diable parfois nous emporte. Alors par mégarde, nous n’écoutons plus. Le temps de remonter le cours de nos conversations en cascades, de réfléchir à ce qui a été dit. Alors les cascades s’arrêtent. Les conversations se poursuivront plus tard, plus longtemps que nous.

Demain, ceux qui seront partis continueront de parler de ce qui se parle ici. À travers ceux qui restent, ils parleront d’idées qui prendront d’autres formes, pour ne jamais mourir. La mort n’existe que pour ce qui a renoncé au tangage incessant de l’immédiateté du vivre et de l’arrivée prochaine du devenir.

Les arrivées sont riches de toutes les paroles soulevées par les départs. Leurs poussières retombées, il faut remettre un peu d’ordre, réorganiser quelques mots, quelques phrases, voire quelques silences. Puis nous rassembler, mettre tout en commun, remettre tout en question. Foutre le désordre. Écrire un texte, monter une exposition, faire et refaire des images, les aimer encore. Avancer.

Publié le 30 mai 2014
Par VU