Dans Le Dépays, Chris Marker disait qu’il fallait se tutoyer soi-même, car je est un autre – toujours et pour toujours. Peut-être le faut-il pour s’infliger bienveillance. Car nos états se chevauchent, s’alternent, prennent le relais l’un de l’autre. On change, et le temps lui aussi.
La pratique artistique de l’artiste originaire de Bosnie-Herzégovine Velibor Božović s’ancre dans des archives personnelles pour mettre de l’avant une recherche sensible et engagée sur l’expérience du déplacement. Après tant d’années à côtoyer des ailleurs parfois aussi étrangers que nos corps habités, c’est encore et toujours la banalité de lieux communs qui, dans ces images, interpelle. De ces fragments accumulés avec le temps émane une forme de circulation de l’expérience, une présence – tantôt visible, tantôt hors champ –, mais une trace, encore et toujours. Ce qui nous échappe d’abord nous est alors murmuré.
Les stratégies sont diverses chez Božović; reflets, brouillard, ombres, dédoublement, écrasement et juxtaposition des espaces et écriture sont autant de moyens qui lui permettent de signifier les notions de soi, d’altérité et de mémoire. Sa méthodologie emprunte aux codes d’un voyage nécessaire qui, par la réappropriation de souvenirs, lui permet de panser l’exil. Il déploie sous nos yeux une éthique de l’écoute en impliquant les membres de la diaspora bosniaque, qui l’autorisent à déplier en toute bienveillance les cartes de leur histoire. Il cueille des images, des récits. Il excave les cicatrices. Son œuvre nous donne à voir des intériorités nuancées qui soulignent le déracinement : c’est un travail lumineux qu’opère Božović à travers un soulagement de la violence qui se veut collectif. Un labeur qui vise l’occultation de la part d’ombre, même s’il persiste malgré tout certaines omissions.
In Le Dépays, Chris Marker said it was necessary to think of oneself as “you,” because the I will always and forever be the other. Perhaps this is what it takes to be kind to oneself. Because our states overlap and change, alternating in succession, one after the other. We change, and time does too.
Bosnian-born Velibor Božović’s art practice draws on personal archives to present a sensitive and engaged enquiry into the experience of displacement. After all his years spent in places that on occasion felt as foreign as our own inhabited bodies, it is the commonplace elements of his images that, time and again, pull us in. From these fragments accumulated over time emanates a diffusion of experiences, a presence—sometimes visible, other times out of frame, always, however, leaving a trace. What escapes us at first is later whispered back to us.
With Božović, the strategies are diverse: reflections, fog, shadows, doubling, flattening and juxtaposition of spaces, and writing are all means by which he signifies notions of self, otherness, and memory. His method borrows from the codes of a necessary journey which enable him, through the reappropriation of memories, to heal the wounds of exile. He deploys an ethic of listening by involving members of the Bosnian diaspora, who allow him to gently unfold the maps of their histories. He gathers images, stories. He excavates scars. His work gives us a glimpse at nuanced inner lives that highlight an uprooting: Božović’s work is luminous, an attempt to collectively find relief from the violence of the past. An effort that aims to conceal the shadowy side, even though certain omissions persist.