Cette année, c’est Dominique Rivard qui reçoit la bourse de parrainage. VU a également offert 2 bourses de soutien au développement, la première à Yan Giguère et Marie-Claude Bouthillier, la seconde à Michel Huneault.
Détails plus bas.
Dominique Rivard
De 2016 à 2019, j’ai photographié des autoportraits dans différents paysages de la Côte-Nord du Québec où j’ai intentionnellement vécu en mouvement. Ils montrent une femme seule, centrée dans un paysage nordique, qui regarde droit devant elle, directement dans l’objectif de la caméra. Sa représentation devient une typologie reconnaissable à distance, comme les phares se distinguent par leur architecture particulière et leur fonction de guide. Ce qui m’intéresse, ce sont les moyens par lesquels ces images génèrent des points de rencontre (des signaux lumineux) avec la lectrice, et l’invite à y errer aussi géographiquement qu’imaginativement.
Pourquoi revenir errer ici dans des saisons qui sont toujours à recommencer?
Comment le livre photographique traduit-il les procédés de mise en fiction?
Maison vide, Petites magie et Métamorphoses- trois affiches livrets
Yan Giguère et Marie-Claude Bouthillier
« (…) dans ce projet en développement le défi est de sélectionner des images qui sont en dialogue avec les poèmes afin de créer une ambiance enveloppante émanant de la rencontre des deux langages. En plus de la sélection des photographies, il y a aussi un travail de mise en forme à peaufiner selon l’imposition de pages que demande chacune des trois propositions. »
Maison vide (extrait du poème)
À la fenêtre
Une pluie fine raye le jardin et l’étang
Faudrait sortir en faire le tour
SORTIR
En faire l’effort
Un oiseau, des oiseaux
Il va geler
(…)
(An)notations sur la frontière
Michel Huneault
D’avril à août 2020, en comparaison avec la même période en 2019, il y a eu une chute de 95% des entrées en territoire canadien par voie terrestre – tous types de voyageurs confondus. Conséquence de la Covid-19, la frontière s’est fermée. Dans l’histoire moderne du pays, la frontière n’a jamais été si étanche et peu empruntée, pour tous et certainement pour les personnes vulnérables. C’est un mur invisible, et pourtant bien concret.
Ici, il n’y a pas si longtemps, les voisins canadiens et américains se connaissaient par leur prénom, prenaient des verres ensemble, partageaient des terres, passaient la frontière en saluant le douanier sans même arrêter la voiture. Plus maintenant. Déjà en 2001, après le 11 septembre, la relation s’est rapidement érodée avec un changement de ton sécuritaire aux points de passage. En 2010, la nouvelle nécessité du passeport pour traverser a continué à compliquer la cohabitation. La venue de Trump en 2016 a accéléré la division territoriale et idéologique. La pandémie a presque terminé l’isolation des deux voisins: les biens essentiels traversent, les gens d’affaires et les joueurs de hockey aussi, puis ces snowbirds que rien n’arrête… mais surtout, les demandeurs d’asile, eux, ne peuvent plus traverser.
En mars 2020, avant la Covid, ce sont 930 individus qui ont demandé l’asile entre deux ports d’entrée au Québec, tel qu’au chemin Roxham. Puis en avril 2020, on dénombre une seule personne ayant traversé, et un total de 90 jusqu’à la fin août (126 au Canada). De plus, depuis avril 2020, le Canada les refoule immédiatement aux États-Unis, à l’encontre du principe de base du droit d’asile, un précédent inquiétant.
À l’automne 2020, en résidence au centre Adélard à Frelighsburg, j’ai débuté la documentation d’une courte section de frontière qui longe le 45e parallèle, entre les lacs Memphrémagog et Champlain, en territoire traditionnel non cédé des Abénakis. Ici la frontière est arbitraire, ne s’annonce pas, s’affiche peu, elle y est souvent peu ou pas visible: chemins devenus cul-de-sac, champs de soya, cours arrière de résidents, forêts et vergers, cours d’eau indisciplinés. On avance à tâtons pour la trouver, avec un étrange sentiment de culpabilité, cherchant nerveusement les signes discrets du changement de pays.
À chaque retour à l’atelier, je devais m’empresser de tracer un carré noir sur la photographie, pour me rappeler où était la frontière, tel un Post-it tridimensionnel. Ce geste simple et précis – répétitif et administratif- transforme accidentellement, mais significativement le document. L’écran sanitaire, politique, social et humanitaire se dresse stoïque dans le paysage tranquille. Comment aurons-nous changé lorsque la frontière réouvrira?