Éclaireurs 6 —Gaëtan Gosselin et Michel Lamothe

Texte : Gaëtan Gosselin / Images : Michel Lamothe
(Traduction du texte en anglais plus bas)

MICHEL LAMOTHE, l’ami photographe

Tout simplement parce qu’il a sans cesse de la campagne plein les yeux.
William Faulkner

 

Michel Lamothe est né en 1949. Il détient une formation en sciences, comme les pionniers de la photographie du XIXe siècle. À la fin de ses études, le cinéma et la photographie seront ses métiers entrelacés. À voir ses photographies, je mesure aujourd’hui l’étendue de la culture photographique qui l’habite.

 

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Les citrouilles, 1998, de la série Paysage des quotidiens, épreuve au jet d'encre, 61x76 cm.
Image bannière : Sans titre, 2018, épreuve au jet d'encre, 81x99 cm.

 

J’ai vu ses photographies pour la première fois en 1984. Une exposition intitulée Images de sténopé. Je les ai aimées dès le premier instant. Pour leur familiarité certes, mais surtout pour le rendu énigmatique des visages et des paysages, leur illusoire imperfection, et ce flou qui, ma foi, accompagne toujours la connaissance de l’autre tout autant que nos identités propres…

Elles me ravissent toujours autant, les images de Michel, parce qu’y défile magnifiquement cette histoire primitive du temps qui gouverne l’acte photographique. Niépce et La table servie. Les regards perdus de Cornelius et Bayard dans les portraits et les autoportraits. Pour Jérôme et Les iris, c’est Fox Talbot. Les nuages, Stieglitz. Ses mains… Et Les citrouilles, n’est-ce pas Fenton arpentant la Valley of the Shadow of Death ?

Daguerre, Boulevard du Temple, 1838. Première image de l’être et du néant. J’y vois une inspiration. Je crois que c’est dans ce continuum de hasards intemporels et de vues fantomatiques que Lamothe mène ses actions photographiques depuis près de cinquante ans.

 

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Ithaque, 1994, épreuve argentique, 88x 69 cm.

 

Ithaque, cette photographie emblématique de la solitude et du désir, les composantes cardinales de l’œuvre tout entière. Cette île si lointaine et mystérieuse qu’elle me semble évoquer la demeure et l’espérance de John Max, l’ami photographe qui l’entraînera à capturer la part du temps qui nous attache les uns aux autres.

Michel et John entretenaient sans doute une alliance de pensée avec les transcendentalistes américains, ces rêveurs solitaires, aventuriers du savoir et de la vie, précurseurs des Frank, Kerouac et de leurs épigones. On imagine avec eux un monde revenu à son état originel, Michel Lamothe nous révélant avec candeur, dans ses films et ses photographies, ce « grand plaisir qu’offrent les champs et les bois, la suggestion d’une relation occulte de l’homme avec le végétal » (R. W. Emerson).

 

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La vallée de la Sainte-Anne 3, 2019,  épreuve de travail argentique, 4x5 po.

 

Les dernières photographies de Michel Lamothe sont de même nature que ses toutes premières. L’ensemble est unitaire, cohérent, puisqu’il provient des mêmes appareillages. Le sténopé, qui aspire lentement la lumière en dedans ; la table lumineuse, qui l’expulse instantanément au-dehors. Deux manières de regarder le monde pour le transfigurer en images dotées d’un souffle magique, surnaturel.

Michel Lamothe aime dire que ses images n’abordent pas de grands sujets, préférant fréquenter les territoires de l’intériorité, jouir du regard pensif. À l’écouter et à bien les regarder, ses images, on peut dire que l’œuvre résulte d’un processus lumineux qui comporte ses marques et dont la portée va bien au-delà de ses dispositifs. Et c’est ainsi qu’il pratique un art de notre temps.

 


Sans titre, 2018, épreuve au jet d'encre, 81x99 cm.

 

 


Main, 1989,  épreuve argentique, 99x128 cm.

 

 

La vallée de la  Sainte-Anne 2, 2019, épreuve de travail argentique, 4x5 po.

 

 

Sans titre, 2018, épreuve au jet d'encre, 81x99 cm (3).

 

 


Pour Jérôme, 1995, 5 épreuves argentiques, 88x345cm.

 

 


Autoportrait aux Marguerites, 2019, épreuve de travail argentique, 4x5 po.

 

JOHN MAX, A PORTRAIT un film de Michel Lamothe • 1h 33m

Michel Lamothe remercie le Conseil des arts de Longueuil pour son soutien.

Gaëtan Gosselin se passionne pour la photographie, l’écriture et l’art sonore. Il a réalisé des expositions, des projets de commissariat et des essais réflexifs sur l’art et la photographie. Il a occupé des postes de direction au sein d’organismes artistiques réputés. Il participe depuis plusieurs années à la défense du milieu artistique et au développement de nombreux organismes. Né dans les Bois-Francs (Plessisville), il vit et travaille à Québec.

 

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MICHEL LAMOTHE, photographer and friend

 

. . . just because he’s got his eyes full of the land all the time.

—William Faulkner

 

Michel Lamothe was born in 1949. Like many of the nineteenth-century pioneers of photography, he studied science. Following his studies, film and photography become his interwoven occupations. Looking back over his oeuvre, I’m only now able to fully take stock of the photographic culture he lives within, and that lives within him.

 

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I first saw Michel’s photographs in 1984, in an exhibition called Images de sténopé. I liked them right away—for their familiarity, yes, but even more so for their enigmatic portrayal of faces and landscapes, their chimeric perfection, and for their ability to capture the elusive uncertainty that eternally clouds our knowledge of ourselves and others.

 

Michel’s photos still leave me in awe, carrying within them as they do so much of the history of early photography. Niépce’s dinner table. The empty gazes of Cornelius and Bayard’s portraits and self-portraits. Fox Talbot in Pour Jérôme and Les iris. Stieglitz in the clouds. His hands . . . and doesn’t Les citrouilles conjure up Fenton travelling through the Valley of the Shadow of Death?

 

Daguerre, Boulevard du Temple, 1838. I see an early inspiration in this first image capturing being and nothingness. I believe that it is in this continuum of timeless serendipity and spectral perspective that Lamothe has created his photographs over the past fifty years.

 

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Ithaque is an emblematic representation of solitude and desire, pivotal elements throughout Michel’s entire oeuvre. This island is so remote and mysterious that it seems to invoke the hopes and home of his friend John Max, who indeed constantly encouraged him to capture fleeting time, that glue that binds us together as humans.

 

Michel and John maintained a spiritual alliance with the American transcendentalists—solitary dreamers, adventurers into territories of knowledge and life, forebears to Frank, Kerouac, and the like. With them, one can imagine a world reverting back to its pure, original state. Indeed, in his films and photographs, Michel Lamothe shows us that “the greatest delight which the fields and woods minister is the suggestion of an occult relation between man and the vegetable” (R. W. Emerson).

 

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Michel Lamothe’s most recent photos are not unlike his earliest works. His oeuvre forms a coherent whole, at least in part because he has always used the same equipment: the pinhole camera, which absorbs light slowly; and the light table, which, on the contrary, instaneously ejects it. Two ways of seeing the world, of transforming it into images endowed with a magical, almost paranormal spirit.

 

Lamothe himself claims that his works don’t address the big questions, preferring inner landscapes and the contemplative gaze. If we listen to him and really look at his images, we realize that these works stem from a luminous process that is unique, and whose reach extends far beyond the technological means. And it is in this sense that Lamothe practises an art-making that is truly contemporary.

 

 

Avertissement : Le texte et les images sont protégées par le droit d’auteur. Toute reproduction est interdite. / Warning: The text and images are copyrighted. Any reproduction is strictly forbidden.

 

Publié le 25 juin 2020
Par VU