Errances imaginaires —un texte de Michelle Drapeau

Texte pour les expositions Les attentes d’Evelyne Leblanc-Roberge et Les extraterrestres ont mangé mon jardin d’Elsa Stubbé.

 

Evelyne Leblanc-Roberge et Elsa Stubbé investissent les galeries de VU avec leurs projets respectifs, Les attentes et Les extraterrestres ont mangé mon jardin. Bien qu’issus de quêtes exploratoires distinctes et articulées selon des protocoles méthodologiques divergents, ces corpus photographiques se rejoignent à plusieurs égards. Leurs résonances mutuelles contribuent à faire émerger des bribes de sens qui sauront ouvrir le bal de la nouvelle programmation chez VU, axée cette année autour de la notion de liberté en création.

Les deux artistes proposent des transpositions dans l’espace de séries photographiques initialement diffusées sous la forme de livres. Tirant parti des possibilités offertes par les paramètres de la galerie d’exposition, elles reconfigurent la logique narrative de leurs corpus en les redéployant dans l’espace selon différents jeux d’échelle et dispositifs de présentation. Ces propositions nous permettent de parcourir autrement leurs univers photographiques, et d’en faire l’expérience sous un nouveau jour.

Chez Leblanc-Roberge comme chez Stubbé, la photographie constitue un médium de prédilection pour sonder nos rapports aux espaces que nous occupons, qu’ils soient intérieurs et cloîtrés ou extérieurs et étendus; qu’ils soient réels et habités ou imaginaires et rêvés. Un certain nombre d’images présentées ouvrent à des espaces libérés de toutes contraintes tels que le ciel bleu et l’écosystème naturel laissé intact, alors que d’autres laissent entrevoir des lieux délimités et contrôlés, signifiés notamment par le mur de béton ou le paysage aménagé du jardin botanique.

Les photographies déroutantes de Leblanc-Roberge offrent des perspectives souvent tronquées de scènes énigmatiques donnant à voir les vestiges de ce qui n’est plus : une voiture détériorée abandonnée; les empreintes de ce qui était jadis accroché sur un mur; le soleil couchant prêt à disparaître à l’horizon. Celles de Stubbé érigent une vision décalée et parcellaire du monde naturel conjugué au cosmos, en répertoriant des atmosphères et formes curieuses trouvées au fil d’explorations improvisées.

Dans les deux cas, ces images témoignent d’une spontanéité affirmée dans le choix de sujets qui, pour la plupart, sont survenus au fil d’errances antérieures. Ressorties des archives personnelles des photographes, elles sont réinvesties à l’aune de pistes de recherche définies : Leblanc-Roberge y replonge en s’inspirant des lieux décrits par ses interlocuteurs, alors que Stubbé y sélectionne des perspectives inédites du monde naturel. Ces images latentes prennent dès lors sens dans leurs mises en relation les unes avec les autres, et dans leurs interrelations poétiques avec le texte et l’image d’archives.

Chez Leblanc-Roberge, le caractère indiciaire de l’image photographique trouve son pendant dans les fragments découpés de lettres écrites à la main. Ces traces parcellaires de correspondances sensibles entre l’artiste et des personnes incarcérées agissent sur notre lecture polysémique des images récoltées. Stubbé, quant à elle, complète sa collecte d’images photographiques avec celle des ouvrages de vulgarisation scientifique et de science-fiction. Elle condense un ensemble d’images-sources pour élaborer des collages aux compositions surréelles. La construction manifeste de ces images, ici indiquée par les découpes assumées du processus de collage, atteste la présence de l’artiste dans l’élaboration de fictions.

Un passage anonyme issu des lettres de Leblanc-Roberge s’avère particulièrement emblématique des deux projets artistiques : « it’s a rather strange life these days »1 . Les attentes et Les extraterrestres ont mangé mon jardin produisent justement cet effet, celui de faire étrange. Leurs visions singulières ouvrent des brèches symboliques de détours dans l’imaginaire poétique; elles procurent des mises à distance momentanées du monde tel qu’on le connaît. Que ce soit pour mieux aménager nos mondes environnants à nos mondes intérieurs ou pour établir de meilleurs rapports aux espaces que nous habitons, la fuite du monde (facilitée par le geste artistique) nous permet ici de mieux y revenir.

Publié le 7 septembre 2018
Par VU

Biographie

Candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval, Michelle Drapeau est une commissaire de la relève originaire de Moncton et résidant à Québec. Elle compte à son actif des expériences à titre d’assistante conservatrice de l’art actuel au Musée national des beaux-arts du Québec, de rédactrice de contenu pour la médiation de cette même institution, de coordonnatrice du Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul et d’auxiliaire d’enseignement en histoire de l’art à l’Université Laval.

Elle est actuellement commissaire adjointe de Manif d’art 9 – La biennale de Québec; commissaire d’Images rémanentes, un parcours d’art public permanent subventionné par le Conseil des arts du Canada (Moncton); et chargée de projet pour la Maison de la littérature. Elle s’implique dans la communauté artistique en siégeant au conseil d’administration de la Foire en art actuel de Québec et en animant le magazine culturel hebdomadaire À l’est de vos empires sur les ondes de CHYZ 94.3.