Texte pour l’exposition Trilogie bleue de Shuwei Liu.
Je compte les images – 30 images sans secondes, aucun battement du temps. Suspendues et étendues, au vent et sans cadran, comme des drapeaux sans mots. Les images ne se comptent plus ni en secondes ni en heures. Derrière toi, l’illusion de mouvement est délaissée et le monde se fige en ombres bleues et en lumières confuses. Alors c’est moi qui fais les comptes. Je compte jusqu’à 30 et la terre est bleue comme une orange. Je dénombre les lumières et les paysages. J’énumère les personnages, ils se sont déjà détournés. Je dénombre les silhouettes, l’horizon se perd. Il reste un reflet, une surface, une ligne vacante et le vide qui compte triple. J’ai fait les comptes, mais le bleu est inchiffrable. Alors je refais les comptes.
Des images creusées dans le moment, plongées dans l’indigo.
Des images séchées au vent du présent.
Des images bercées dans le bleu de l’enfance.
Des images soufflées par la couleur de l’errance.
Des images figées sur la paroi du monde.
Des images naviguées hors de portée.
Je dénombre les images qui s’oublient, je leur dessine des chiffres dans les yeux. Je suis la comptable des images secondes teintées du bleu du monde multiple comme une orange. Chassons le bleu du revers de la main, il reviendra toujours danser sous l’eau, là où il n’y a plus de bateaux. Là, en apnée, le bleu cesse de compter et navigue en creux de vague. Là, tu fais face aux images immenses et partielles, flottantes et figées, cadrées et assidues. Et tu les libères, l’une après l’autre, dans un autre océan.