Éclaireurs 1 —Jade Boivin et Jean Michel René

Texte : Jade Boivin / Images : Jean Michel René
(Traduction anglaise du texte plus bas)

 

Dans chaque nouvelle itération des projets de Jean Michel René se trouve une clé supplémentaire pour percer le récit fragmentaire qui l’obsède depuis 2017. Des fous de Bassan, des vestes de flottaison qui ne flottent pas, une baignoire apparue sur la rive, le bruit des vagues ballottant dans un mouvement perpétuel. Et des silhouettes méconnaissables, dont une qui contemple l’horizon lointain, protagoniste principal de son imaginaire.

C’est le récit d’un homme fuyant. C’est le récit aussi de l’eau qui coule comme le temps, et celui d’un couple qui veut résoudre cette disparition. Ayant une forte composante littéraire et narrative, l’ensemble des photographies de Jean Michel se construit comme une accumulation de faits divers et de motifs récurrents, qu’il reprend d’ailleurs dans ses vidéos et ses installations : la linéarité du récit importe peu comparativement aux espaces interstitiels que l’artiste laisse volontairement à l’interprétation. Ses œuvres participent d’un univers qui tente de cerner l’immensité et la folie et, avec des médias résolument temporels, l’artiste opère un glissement : les formes qui stagnent ne seraient-elles pas encore en train de bouger ? Ou plutôt, les formes qui bougent le font-elles si lentement qu’elles donnent l’impression de stagner ?

Il faut rencontrer les œuvres de Jean Michel plus d’une fois pour saisir la sensibilité romantique de sa démarche. Si les évocations autour de la lenteur, de la stagnation, de la lourdeur appuient l’atmosphère brumeuse que l’on reconnaît à ses compositions, ce n’est réellement qu’en revenant à nouveau vers son travail qu’un sentiment de familiarité commence à nous habiter. Et il ne faut pas se méprendre, car à travers tous ces va-et-vient qui rythment ses œuvres, objets et récits s’y alignent sans plus d’explication. Ils sont tout simplement là, et comme les goélands figés sur la berge ainsi que les roches sculptées par la houle, un homme s’engouffre dans le néant aussi mystérieusement qu’il y réapparaît.

 

Détentrice d’une maîtrise en histoire de l’art, Jade Boivin est travailleuse culturelle, autrice et éditrice. Ses recherches envisagent une écriture queer de l’histoire de l’art performance, à l’intersection entre l’affect et la fiction. Elle agit présentement comme rédactrice en chef de la revue Vie des Arts.

 

Image ci-haut : Jean Michel René, Sans titre (La Martre), de la série Ground / Au sol, photographie argentique numérisée, 2017






Jean Michel René, Sans titre (Marsoui), de la série Ground / Au sol, photographie argentique numérisée, 2017

 

 

Jean Michel René, Sans titre (Marsoui), de la série Ground / Au sol, photographie argentique numérisée, 2017

 

 


Jean Michel René, Les recherches, de la série Les Oiseaux Moches, photogramme tirée de la vidéo ayant pour titre Les Oiseaux Moches, 2019


 

 


Jean Michel René, Les recherches, de la série Les Oiseaux Moches, photogramme tirée de la vidéo ayant pour titre Les Oiseaux Moches, 2019

 

 


Jean Michel René, Sans titre (la mer), de la série Les Oiseaux Moches, photogramme tirée de la vidéo ayant pour titre Les Oiseaux Moches, 2019

 

 


Jean Michel René, Apparition mystique (les fous), de la série Les Oiseaux Moches, photogramme tirée de la vidéo ayant pour titre Les Oiseaux Moches, 2019

 

 


Jean Michel René, Les Oiseaux Moches, de la série Les Oiseaux Moches, épreuve numérique, 2020

 

 


Jean Michel René, Apparition mystique (la baignoire), de la série Les Oiseaux Moches, épreuve numérique, 2020

 

 

Jean Michel René, À toi mon grand cormoran, de la série Les Oiseaux Moches, épreuve numérique, 2020

 

 

With each new project, Jean Michel René introduces an additional key to the fragmentary narrative that has fascinated him since 2017. Here, we find gannets, sinking life jackets, a bathtub washed up on the beach, the never-ending sound of rolling waves, and all these unrecognizable silhouettes, especially one solitary figure—the main character of his imaginary world—eternally contemplating the distant horizon.

 

This is the story of an elusive man, the story of a couple trying to solve the mystery of his disappearance, the story of water that flows like time. With strong literary and narrative elements, Jean Michel’s oeuvre is an accumulation of fragments of life and recurrent motifs, which he also uses to create videos and installations. For him, linear storytelling is not as important as the interstitial spaces he deliberately leaves open for us to interpret ourselves. Jean Michel’s works form a universe where immensity and madness are fully embraced. With his use of resolutely time-based mediums, he is indeed able to shift our perspective: might static forms not in fact be in motion? Or rather, perhaps some forms move so slowly that we perceive them as immobile and stagnant?

 

One needs to experience Jean Michel’s works more than once in order to fully grasp the romantic sensibility of his practice. While slowness, stagnation, and weight underpin the hazy atmosphere, it isn’t until we come back to consider his work anew that we begin to develop a sense of familiarity with these pieces. At the same time, we shouldn’t rush to conclusions, as the movements that give rhythm to his works, objects, and narratives all end up falling into their proper place without any real explanation. They simply exist, and, like unmoving seagulls perched along the shore, or stones sculpted by the sea, a person slips into the void just as mysteriously as they emerge from it.

 

 

Avertissement : Le texte et les images sont protégées par le droit d’auteur. Toute reproduction est interdite. / Warning: The text and images are copyrighted. Any reproduction is strictly forbidden.

 

Publié le 21 mai 2020
Par VU