Ensemble —un texte de Caroline Loncol Daigneault et Anne-Marie Proulx

Texte pour l’exposition Ensemble.

 

Tu m’as dit : « Écrire est un souffle », la suggestion d’un rythme, entre le vide et le plein, l’énonciation et l’écoute.

J’écoutais. Tes paroles inscrites dans l’épaisseur de l’air. Souffle-matière jusqu’à mon oreille. J’avais traîné mon carnet pour noter des pensées que je n’ai finalement jamais écrites. Je me revois plutôt racler le sable et ensevelir ce carnet comme s’il s’agissait d’un os.

Tu appelais une réponse. Je t’ai répondu en répétant tes mots comme une question, contre le mur blanc du brouillard. Une invitation : sondons ce qui veut se dire à même le creuset des mots échangés. Sachons reconnaître ces formes-là qui se dessinent pour mieux s’effacer. Préserver le commun dans sa manifestation la plus précaire, en sommes-nous capables ?

Nous n’avons pas cherché, ce jour-là. Nous avons simplement parlé des œuvres que nous connaissons, que nous aimons comme des amies. Celles qui nous préexistent et celles en devenir, d’autres qui naissent et qui meurent avant même que nous puissions les voir. Nous avons parlé des images qui nous accompagnent, mais surtout de celles qui nous relient. À l’intérieur et autour d’elles, nous avons rôdé. Nous nous sommes introduites ensemble dans une mine d’air, de lumière et de sel, pour un rendez-vous furtif. C’est alors que s’est chargée la matière des mots, latente, en suspens pour la suite.

Il semble qu’une œuvre soit toujours déjà pleine à craquer d’êtres-en-présence. Dans une même image s’énoncent simultanément la lumière et l’ombre ; des humains qui se prolongent dans des gestes et des regards ; des plats – compotiers, sucriers, chandeliers – aussi bavards que les piles de photographies, prêts à recevoir les fruits à ingérer, à partager ; la face du Soleil ou de Dieu parfaitement lissée sur un panneau publicitaire, qui aveugle et réunit une communauté secrète ; ce qui se presse à la surface d’une feuille d’or et qui finit par se dire ou par se taire. Ultimement, il n’y aurait donc que cela, des œuvres aux signatures plurielles, qui arrivent avec ce qui les précède et les seconde. Jusqu’à ces yeux-là qui, plus tard, reçoivent l’image, la tirent de son monde pour l’enchaîner délicatement à d’autres ensembles, encore et encore. Recevoir, décanter, relayer.

Une ponction suave dans le cours des rencontres. L’art transperce, jusqu’à cet espace en creux où survivent les assemblages les plus ténus. La pensée tremble, les pupilles virent vers l’intérieur. Vers une cavité passive aménagée pour accueillir et composer avec la voix de l’autre et l’entendre peut-être enfin. Mesurer ce qu’elle remue en soi. Faisons-le ensemble ; déjà, nous ne savons plus où creuser ni où faire le guet. Renversons l’approche ; l’énigme nous tombe entre les mains – pierre muette. Avec son poids, sa part d’ombre. Le lieu depuis lequel nous la recevons est fait d’une matière semblable ; notre attention est obscure, vibrante, patiente, prête à se lier malgré les distances.

Nous sommes parties, avons laissé le carnet derrière, parfaitement recouvert de sable roux. Sous un monticule, nous avons sécurisé un espace d’attention. Une moelle tendre, pas tout à fait un silence, d’où s’entendre. Il n’est sans doute plus important de savoir qui tu es ou qui je suis. Nos voix emboîtées sont devenues le vent. Nos paroles ne nous appartiennent plus. Il suffit peut-être alors de palper l’écran de brume pour retrouver les fils, les perles de nos paroles assimilées l’une à l’autre, l’une avalant l’autre, du rouge au blanc, du blanc au rouge, sans ordre prédéfini.

« Je te suis. »

Publié le 9 septembre 2016
Par VU

Biographies

Caroline Loncol Daigneault est auteure, chercheuse et commissaire. Avec l’écriture comme lueur première, elle traque les pratiques de la pénombre de même que les filiations de l’art et de l’environnement. Ses projets de commissariat comprennent Le chant des pistes, un événement-résidence aux Îles-de-la-Madeleine, la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli placée sous le signe de l’Hospitalité (2012), ELLE MARCHE Blue Mountain (2012), une exposition-laboratoire avec l’artiste Vida Simon développée sur l’île Fogo à Terre-Neuve puis présentée à OBORO ; ainsi que le Laboratoire parcellaire, une résidence d’auteurs qui a donné lieu à un cycle de médiation et à un ouvrage qu’elle a dirigé aux éditions La Peuplade et OBORO.

 

Avec une pratique qui fait se croiser les mots et les images, Anne-Marie Proulx construit des documents qui se situent entre le réel et l’imagination, l’histoire et la fiction. Autour d’un territoire ou d’une communauté, son travail se concentre sur les traces qui s’accumulent par le passage du temps et des collectivités. Son travail d’artiste et ses recherches ont été présentés dans plusieurs expositions individuelles et collectives (Capture Photography Festival, La Centrale, la Fonderie Darling, Panache art actuel, Skol). Ses textes ont fait l’objet de différentes publications (Ciel variable, Eastern Edge, Éditions du Renard, Esse, Regart, YYZ), et elle a présenté des conférences tant au Québec qu’à l’étranger. Elle vit et travaille à Québec, où elle est codirectrice de VU.