Texte : Sevia Pellissier / Images : Chuck Samuels
(Traduction anglaise du texte plus bas)
Loose Canon
Chuck Samuels, On Photography (2020)
Dans La mort de l’auteur, Roland Barthes dit de l’auteur qu’il ne peut qu’imiter les gestes de ses prédécesseurs et que son seul pouvoir est de mêler les écritures des autres*. Si, comme il le prétend, l’auteur est mort, que reste-t-il aux artistes pour manifester leurs réflexions ?
Depuis les années 1980, la pratique de Chuck Samuels surprend et fait rire par son ton irrévérencieux, son approche autoréférentielle et son appropriation des éléments de la culture visuelle. On Photography réitère les intérêts théoriques et esthétiques de l’artiste et devient un manifeste ironique qui, à lui seul, renferme l’essence d’une pratique maintes fois applaudie par le milieu même qu’elle critique.
La série aux apparences trompeuses présente trente portraits de grands penseurs du vingtième siècle, incarnés par nul autre que Samuels, portraits auxquels s’ajoute une vidéo. Les images que crée le photographe se déploient tranquillement dans l’imaginaire et exigent qu’on fasse appel à la mémoire pour saisir tout leur sens.
Comme les autres créations de Samuels, On Photography fait référence à la culture des images et suscite le souvenir. C’est seulement plus tard, en découvrant ou redécouvrant par hasard le véritable visage de Foucault, de Benjamin ou de Freud, que celui de Samuels peut refaire surface. Au moment où il s’y attend le moins, le regardeur se voit contraint à remettre en question son rapport à l’image et à son histoire.
On Photography réussit, en ayant recours à un tissu de citations et d’images appartenant à l’univers du connu, à créer un nouveau discours. Ainsi, celui qui regarde sans comprendre les multiples références n’est pas moins brillant que celui qui a passé sa vie à étudier les écrits de Susan Sontag. Au contraire, il est celui qui voit dès le départ ce que les canons de l’histoire de l’art sont vraiment : une panoplie de concepts reçus qui s’assoient sur l’autorité du géant qui les a proférés.
*« Nous savons maintenant qu'un texte n'est pas fait d'une ligne de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique (qui serait le “message” de l'Auteur-Dieu), mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n'est originelle : le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture.
Pareil à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, à la fois sublimes et comiques, et dont le profond ridicule désigne précisément la vérité de l'écriture, l'écrivain ne peut qu'imiter un geste toujours antérieur, jamais originel ; son seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contrarier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui sur l'une d'elles […]. »
(Roland Barthes, « La mort de l’auteur », dans Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p. 65)
Sevia Pellissier est candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval et commissaire indépendante. Hyperactive culturelle, elle anime l’émission À l’est de vos empires, collabore régulièrement à la revue Vie des arts et siège sur le comité d’administration de la Foire en art actuel de Québec.
Image ci-haut : Capture d'écran de in the land of the giants the one-eyed camera is king (2020), 8m 51s, (4:3 dans un format 16:9), vidéo HD.
After Cartier-Bresson/Barthes (2020)
After Rondeau/Baudrillard (2020)
After Cartier-Bresson/de Beauvoir (2020)
After Franck/Foucault (2020)
After Halberstadt/Freud (2020)
After Greendield-Sanders/Lippard (2020)
After Dater/Newhall (2020)
After Cartier-Bresson/Sartre (2020)
After Hujar/Sontag (2020)
After Mapplethorpe/Warhol (2020)
Lien vers un extrait de la vidéo
L’artiste remercie le Conseil des Arts et des Lettres du Québec ainsi que L’Imprimerie pour leur support dans la recherche et la production du projet On Photography.
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Loose Canon
Chuck Samuels, On Photography (2020)
In “The Death of the Author,” Roland Barthes suggests that authors are essentially limited to imitating their predecessors, and that their only real power lies in mixing and remixing the writing of others*. So if, as Barthes claims, the author is indeed dead, how can artists now give voice to their reflections?
Since the 1980s, Chuck Samuels’s practice has astonished and entertained through its irreverent tone, self-referentiality, and appropriation of various elements of visual culture. On Photography revisits Samuels’s theoretical and aesthetic interests, by the same token becoming an ironic manifesto that manages to encompass a practice often applauded by the very art world it critiques.
On Photography presents thirty portraits depicting great thinkers of the twentieth century, all slyly played by none other than Samuels himself; the series of photographs is accompanied by one video work. These are images that slowly take form in our imaginations, and ask us to search our memories in order to fully grasp their meaning.
Like Samuels’s other projects, On Photography calls our memory to action, particularly with its frequent references to visual culture. It is only later, on discovering or rediscovering the face of Foucault, Benjamin, or Freud, that Samuels’s own countenance comes back to us. Just when we’re least expecting it, we as viewers find ourselves obliged to question our relationship to images and their history.
By using a complex fabric of citations and images from our known visual universe, On Photography manages to create an entirely new discourse. In this way, the viewer who doesn’t grasp the many references in these works is no less intelligent than the viewer who has spent their entire life studying Susan Sontag. On the contrary, from the outset, the uninformed visitor sees the canon of art history for what it really is: an assemblage of received ideas that draw their sole power from those very figures of authority who invented them in the first place.
*“We know now that a text is not a line of words releasing a single ‘theological’ meaning (the ‘message’ of the Author-God) but a multi-dimensional space in which a variety of writings, none of them original, blend and clash.
The text is a tissue of quotations drawn from the innumerable centres of culture. Similar to Bouvard and Pécuchet, those eternal copyists, at once sublime and comic and whose profound ridiculousness indicates precisely the truth of writing, the writer can only imitate a gesture that is always anterior, never original.
His only power is to mix writings, to counter the ones with the others, in such a way as never to rest on any one of them.” Roland Barthes, “The Death of the Author,” in Image, Music, Text, trans. Stephen Heath (New York: Farrar, Straus and Giroux, 1977).