Éclaireurs 4 —Charles Guilbert et Sébastien Cliche

Texte : Charles Guilbert / Images : Sébastien Cliche
(Traduction anglaise du texte plus bas)

Des « méta-œuvres » sensibles

Les œuvres de Sébastien Cliche agissent sur deux plans à la fois: elles nous font vivre des expériences tout en nous entraînant en surplomb de celles-ci. D’ailleurs, l’artiste travaille actuellement à concevoir une installation dont les éléments seront reconfigurés par le visiteur… non pas parce qu’il veut renouer avec les utopies participatives des années 60, mais parce qu’il voit dans la remise en question de la relation du spectateur à l’œuvre, entre autres, une occasion de parler plus largement de conscience, de liberté et – c’est son thème de prédilection – de contrôle.

Ses installations, qui comprennent souvent des systèmes de vidéo en circuit fermé bien visibles, nous amènent à réfléchir à la surveillance autoritaire à laquelle nous sommes soumis, mais aussi au contrôle que nous exerçons sans cesse sur nous-mêmes à l’aide de toutes sortes de mécanismes conscients et inconscients. Les images au deuxième degré qu’on y trouve – représentations en vidéo de ce qu’on voit déjà dans l’espace – font penser à la récursivité, qui est à la base de la métacognition, c’est-à-dire à notre capacité de penser à nos pensées, ou d’évaluer nos évaluations. Chez Cliche – dont l’intérêt pour la psychologie, la philosophie, les neurosciences et la linguistique est manifeste –, travail de l’image et exploration de nos modes de pensée vont de pair.

 

 


Ci-dessus et bannière : Le sommeil trouble de l'opérateur (2015), vue partielle de l'installation, Circa, Montréal
Photo (ci-dessus) : Guy L'Heureux / Photo (bannière) : Sébastien Cliche

 

 

Dans l’installation La doublure, par exemple, un performeur surgit de l’autre côté d’une vitre et reprend en miroir, grâce à un moniteur vidéo, le parcours du spectateur et ses gestes. Cette « provocation » entraîne chez ce dernier des réactions diverses : peur, fuite, confrontation, jeu… Ainsi, son corps et sa psyché deviennent constitutifs de l’œuvre.

 


La doublure (2012), installation performative, Galerie de l'UQAM
Photo : Louis-Philippe Côté

 


La doublure (2012), installation performative (captation vidéo), Galerie de l'UQAM
Photo : Sébastien Cliche

 

 

Au cœur de l’installation Self Control Room se trouve une salle de contrôle entremêlant des images de visiteurs récemment passés dans la salle d’exposition et des images de l’artiste en train d’installer l’œuvre. Cette double mise en abyme, qui s’appuie sur des décalages temporels, fait voir l’étrangeté de la rencontre médiatisée – et basée sur la vigilance – que propose une exposition.

 


Self Control Room (2014), vue partielle de l'installation, Articule, Montréal
Photo : Sébastien Cliche

 

 

Self Control Room (2014), installation (captation vidéo), Articule, Montréal
Photo : Sébastien Cliche

 

Dans Nouveaux développements, tout comme dans Superviser l’oubli, on retrouve de nombreuses caméras braquées sur des objets fixes. Ce regard qui prend son temps pour appréhender le réel autrement, c’est en quelque sorte celui de l’artiste, mais aussi, convergent, celui du spectateur, qui cherche patiemment, dans le désordre, à retrouver la source des images que diffusent les moniteurs.

Les installations de Cliche font souvent penser à des laboratoires, et ce n’est pas un hasard. À travers l’image, on y expérimente ce qui fonde notre présence même et notre rapport au monde.

 

Nouveaux développements (2017), installation, Le Lieu, Québec
Photo : Sébastien Cliche

 

 


Superviser l'oubli (2019), vue partielle de l'installation, Sporobole, Sherbrooke
Photo : Sébastien Cliche

 

 


Superviser l'oubli (2019), détail de l'installation, Sporobole, Sherbrooke
Photo : Sébastien Cliche

 

 


Superviser l'oubli (2019), vue partielle de l'installation (stationnement), Sporobole, Sherbrooke
Photo : Tanya St-Pierre

 

 

Charles Guilbert écrit, dessine, chante, filme, interviewe, critique et enseigne.

 

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Sensory and sensitive meta-artworks

 

Sébastien Cliche’s projects operate on two different levels simultaneously: they allow us to truly experience things, while also observing these same things from afar. Cliche is currently working on an installation whose elements can be rearranged by the viewer, not because he seeks to revive the participatory utopias of the 1960s, but rather because in questioning the relationship between viewer and artwork, he sees an opportunity to explore consciousness, freedom, and control—his themes of choice.

 

Cliche’s installations, which often use visible closed-circuit video systems, ask us to reflect on the surveillance state we live in, and also on the control we exercise over ourselves via innumerable conscious and unconscious mechanisms. The second-degree images closed-circuit video produces—a live feed of what is already visible in the space—evoke recursion, which itself is the basis of metacognition, that is, our ability to think about our thoughts, and to evaluate our evaluations. For Cliche—whose interest in psychology, philosophy, neuroscience, and linguistics is evident—working with images and exploring our ways of thinking go hand in hand.

 

In his installation La doublure, for example, a performer mimics the viewer and their movements both from the other side of a pane of glass and on a video monitor. This twofold taunting arouses varying reactions in viewers: fear, withdrawal, confrontation, or play. As such, the viewer’s body and psyche become constituent elements of the artwork.

 

At the heart of Self-Control Room, we find a control room where a mix of images of recent visitors to the exhibition space and of Cliche installing the installation are displayed. This double mise-en-abyme, which draws heavily on temporal discrepancies, allows us to observe at a remove the mediated and indeed surveilled encounter that is an exhibition.

 

In Nouveaux développements, much as in Superviser l’oubli, many cameras film static objects in real time. This gaze, which takes its time in order to grasp reality in a new way, is in some sense the gaze of the artist. However, it is also that of the viewer, who, amidst the chaos of the installation, patiently seeks out the sources of the images displayed on the monitors.

 

It’s no coincidence that Sébastien Cliche’s installations often recall laboratories. For his work is indeed a site of experimentation where we can truly experience that which underpins our very presence in, and relationship with the world.

 

 

Avertissement : Le texte et les images sont protégées par le droit d’auteur. Toute reproduction est interdite. / Warning: The text and images are copyrighted. Any reproduction is strictly forbidden.

 

Publié le 11 juin 2020
Par VU