NOUS et LES AUTRES —un texte de Fnoune Taha

Texte pour l’exposition Snowbirds de Mika Goodfriend.

 

À première vue, les œuvres de Mika Goodfriend ne m’ont pas bouleversée, ni même posé trop de questions. Les snowbirds québécois qui s’enfuient de l’hiver pour aller rejoindre la chaleur épuisante et dorée de la Floride n’éveillaient pas en moi de vieux échos. Mais mon cœur et mon œil se sont laissé prendre, je dois l’avouer.

Il y a chez Mika Goodfriend cet aspect extérieur aux images qui me lie à son œuvre : à la recherche de mon identité, fascinée par l’intimité et les relations, je me sens proche de son déracinement physique et spirituel. Issu d’une famille juive et natif de Montréal où il passa son enfance, il a vu sa vie tiraillée entre deux cultures : celle du NOUS (sa communauté juive, la vie à la maison avec ses propres traditions) et celle des AUTRES (rencontrée en dehors du cercle familial). Une culture transmise par les liens familiaux et une culture « offerte » par le pays de résidence. Ces problématiques identitaires, qui transparaissent dans les photos de l’artiste, sont autant d’éléments qui m’inspirent et me touchent profondément. Née en France de parents marocains, j’ai décidé de ne pas vivre sur la terre de mes origines et de m’éloigner de mon pays de naissance.

Comment aborder l’identité sans se corrompre soi-même ? Comment la transcrire sans porter sur elle le regard du jugement, en restant cet autre « moi », celui qui sait se mettre en mouvement dans la limite des cultures?

L’identité, aussi insaisissable soit-elle, est un sujet cher à notre humanité. C’est en quittant son territoire, en rompant certains liens pour en créer d’autres, en étant plus vulnérable encore, qu’on peut la rendre plus tangible. Il est possible de l’éprouver en s’achetant une caravane au Breezy Hill en Floride, en décidant de vivre ailleurs, loin de ses liens de parenté, en épousant la culture d’une nouvelle communauté. Comme l’identité peut aussi se manifester lorsqu’on pose son regard de photographe sur les AUTRES.

Les photographies de Mika Goodfriend ne sont pas un hymne à la nation, elles nous font comprendre combien la photographie et plus largement l’art peuvent tisser ce long fil délicat et fragile entre ce que nous appelons à tort ou à raison NOUS et LES AUTRES.

Publié le 2 juillet 2015
Par VU

Biographie

Fnoune Taha vit et travaille à Québec. Elle a effectué une maîtrise en histoire de l’art actuel à l’Université Michel de Montaigne à Bordeaux et a obtenu une maîtrise en commissariat d’exposition à l’Université de Rennes Haute-Bretagne (France). Travailleuse culturelle pour différents organismes en France et à Québec telles que Vidéo Femmes, la Manif d’art, elle continue de s’impliquer activement au sein de la communauté culturelle de Québec. Dernièrement, elle a mis sur pied les deux premières éditions de la Foire en art actuel de Québec, l’art au foyer, a été commissaire avec Geneviève Pelletier de l’exposition Au-delà des possibles pour l’Autocart des arts visuels dans le cadre de l’événement Québec en toutes lettres et membre du jury de pair au Conseil des arts et des Lettres du Québec.