Texte pour l’exposition Croisements de Yann Pocreau.

 

Si les chambres noires pleurent de ne plus voir poindre l’aube des lumières inactiniques, l’installation Croisements de Yann Pocreau présage de nouvelles lueurs.

Au centre de la salle obscure, neuf projecteurs de diapositives trônent sur de grands socles en bois, à différentes hauteurs. De là, des lumières monochromes fusent de chacun des objectifs. En s’évasant, une couleur croise parfois une voisine, s’y mélangeant imperceptiblement dans l’immatérialité de l’espace. Les couleurs se posent ensemble au mur, où elles vont se côtoyer, se superposer, et se dominer parfois. Elles s’y embrassent et en produisent de nouvelles, le temps de quelques secondes seulement : l’un des carrousels avance d’un cran, déployant la prochaine couleur, et créant ainsi une autre composition éphémère. Suivant la cadence, les lumières dessinent des formes dans la noirceur, donnant l’impression d’aurores boréales mécaniques.

Le phénomène n’est pas arbitraire : les couleurs sont les reproductions de celles qui apparaissent sur les chartes autrefois indispensables à la calibration des couleurs en photographie argentique. Alors que la charte servait jadis à la reproduction de tableaux en diapositive, c’est maintenant l’outil même qui est, à l’inverse, transformé en œuvre. L’artiste donne une nouvelle vocation aux carreaux de couleurs peintes de la charte en les transformant en matière translucide, pour laisser la lumière passer au travers d’elles et ainsi habiter l’obscurité.

Chaque composition, automatisée par les projecteurs au hasard de la rotation mécanique des carrousels, est l’une des combinaisons de couleurs possibles parmi une multitude – si un visiteur solitaire s’est arrêté devant le spectacle lumineux, il est plus que probable qu’il aura été le seul à avoir vu les compositions temporaires s’étant présentées à lui.

Une trentaine de jours d’exposition n’aura donc pu épuiser les Croisements de Yann Pocreau, son installation offrant une nouvelle œuvre à chaque instant. Le temps passe et fait passer des choses avec lui – les projections, les technologies comme les expositions. Certaines d’entre elles disparaîtront, d’autres seront réinventées, pour que l’on puisse encore s’émouvoir des lumières défilant sous nos yeux.

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